Le monde a changé : l’économie s’est financiarisée et numérisée remettant en cause la capacité des Etats à retenir leurs bases taxables. La nouvelle politique des Etats-Unis traduite dans sa réforme fiscale de l’automne dernier participe à ce bouleversement international. Pourtant notre fiscalité d’hier sur les sociétés, nationale et internationale, elle, n’a pas trépassé.
Le constat d’une fiscalité sur les sociétés inadaptée et injustice
Rester sur des modèles d’imposition datant de l’âge industriel, engendre des pertes de recettes croissantes pour les Etats et une concurrence incomprise entre les entreprises. Les multinationales les plus grandes et les plus puissantes réussissent à s’adapter rapidement. Elles organisent leurs chaines de valeur, en intégrant dans leur stratégie une fiscalité inexistante ou au contraire la multiplication des fiscalités, avec l’ambition de préserver les intérêts de leurs actionnaires.
L’optimisation fiscale est alors perçue pour elle comme un vecteur de compétitivité, nécessaire pour survivre dans une économie ouverte et mondialisée mais injuste pour les entreprises traditionnelles qui ne peuvent facilement déplacer leurs moyens de production. Par ailleurs, l’immobilité et la matérialité du raisonnement fiscal ne résistent plus aux mouvements incessants de flux financiers et des actifs devenus souvent immatériels, entre les entreprises et en leur sein.
Améliorer la défensive : des travaux BEPS de l’OCDE à la définition d’une stratégie commune européenne
Pour faire face à ces évolutions et ne pas rester spectateur de l’évaporation de leurs recettes fiscales, les Etats, au travers du G20 et de l’OCDE, se sont saisis à bras le corps de la lutte contre l’optimisation et l’évasion fiscales. Le projet BEPS[1] vise à résorber les nombreux interstices ouverts par les législations nationales, les traités européens de liberté de circulation des personnes et des capitaux et les conventions fiscales bilatérales devenues des conventions de double non-imposition. La convention multilatérale dont l’Assemblée nationale devrait autorisé la ratification pour la France cette semaine, constitue une étape historique pour la concrétisation de ces actions.
Dans l’Union européenne, l’optimisation et l’évasion fiscales continuent à prospérer largement malgré les actions de la commission européenne. Ce phénomène dénoncé par beaucoup met surtout en avant les économies différentes et à plusieurs vitesses qui existent au sein de l’Union européenne : les économies industrialisées comme la France et l’Allemagne face à des économies de services financiers comme à Malte, Chypre, aux Pays-Bas et au Luxembourg.
Le débat sur l’inclusion ou non de ces Etats membres dans une liste des paradis fiscaux doit être dépassé à travers un engagement de l’Union européenne d’accompagner ces Etats vers une transition de leur économie. Pour maintenir l’unité de notre Union, un accompagnement financier serait un investissement de long terme pour les Etats membres de l’UE afin qu’ils préservent leurs recettes fiscales dans l’avenir en évitant qu’elles s’évaporent grâce à ces paradis fiscaux intra-européens.
Passer à l’offensive : définir la création de valeur et des principes de partage de valeur
Pour faire face à l’évaporation des assiettes fiscales, les Etats ont adopté une double stratégie de diminution de leurs taux d’imposition et de renforcement de leur arsenal juridique, comme l’échange automatique d’informations. Ne faudrait-il pas aller plus loin et adapter notre raisonnement fiscal à l’économie qui, elle, s’est déjà bien transformée ?
Dans le cadre des réflexions et négociations internationales, les enjeux liés à la transformation de l’économie et de la création de valeur sont abordés mais souvent placés au second plan faute de consensus, comme l’illustre le rapport intermédiaire de mars dernier sur l’action 1 du projet BEPS. Les deux directives présentées par la commission européenne constituent une première réponse mais ces propositions ne s’intègreront qu’à long terme dans le projet ACIS / ACCIS qui n’aborde pas les actifs immatériels et ne traite pas, en son cœur, de la digitalisation de l’économie.
Pourtant, cette question demeure fondamentale et cette absence de consensus mérite d’être dépassée. La France doit passer à l’offensive et entrainer ses voisins européens. Elle doit travailler avec ses partenaires à définir où se crée la valeur au XXIème siècle et en tirer des assiettes taxables adaptées aux flux qui traversent notre économie numérique. Elle doit travailler pour définir des principes de répartition du produit de cette valeur qui soient justes et préservent les intérêts des Etats européens, sans s’exclure, de façon innovante, de réfléchir à de nouvelles bases fiscales.
Une France courageuse, ambitieuse et qui répond positivement aux enjeux qui se présentent, comme avec l’encadrement des crypto-actifs, doit lancer ce débat et nous, parlementaires devons y contribuer pour le porter auprès de nos homologues.
[1] Base Erosion et Profit Shifting (en français : prévention de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices)